De J207 à J209 : Varanasi, la ville où il fait bon mourir… (du 7 au 9 juin 2012)

Il est des villes – telles Bénarès – encore tellement imprégnées de prière, malgré l’invasion du doute moderne, que l’on y est plus qu’ailleurs libéré d’entraves charnelles, et plus près de l’infini. Pierre Loti

Vue sur le Gange depuis notre guesthouse

Autant commencer par cela : Varanasi, anciennement Bénarès, fut l’un de nos gros, gros coups de cœur en Inde. Certes, il faisait toujours aussi chaud – nous flirtions quotidiennement avec les 50°C –  les rues étaient toujours aussi bruyantes et surchargées de traffic, et les sollicitations incessantes. Aurélie a même eu droit à une main baladeuse dans la foule du bazar, histoire qui a failli vraiment mal finir pour le possesseur de ladite main baladeuse… Mais au-delà de tout cela, Varanasi c’est une ambiance, une ferveur, une atmosphère que nous n’avions jamais rencontrées jusque là en Inde.

Varanasi, construite au bord du Gange, est l’une des plus anciennes villes d’Inde. C’est le plus grand lieu sacré de l’hindouisme, comme le Vatican pour les catholiques ou La Mecque pour les musulmans. Plus de 60 000 pèlerins hindous par jour viennent ainsi faire leurs ablutions dans le fleuve sacré qu’est le Gange, afin de purifier leur âme des péchés accumulés. Et cela va même plus loin, puisque lesdits pélerins viennent également mourir en masse dans cette ville : mourir à Varanasi (et s’y faire incinérer) permet d’arrêter le cycle des réincarnations et d’atteindre la moksha, la libération du cycle (équivalent hindou du nirvana bouddhique). La mort est ainsi présente partout à Varanasi, reprenant ainsi une place souvent oubliée en Occident, à savoir celle d’une partie de la vie…

Deux ghâts (points d’accès au Gange) sont ainsi dévolus aux crémations des personnes mortes à Varanasi. On dit ici que le feu a été allumé par Shiva il y a des milliers d’années, et qu’il ne s’est jamais arrêté depuis… Ces crémations obéissent à un rituel bien établi, que nous allons vous détailler dans le paragraphe suivant. Ames sensibles, passez directement au paragraphe d’après ! Par contre don’t worry, il n’y a pas de photo choc dans l’article, les photos sont interdites sur les sites crématoires, interdiction que nous avons bien entendu respectée…

Les corps sont donc brûlés près du Gange, sur des bûchers funéraires individuels. Le rituel des crémations est immuable. Les hommes de la famille se font raser le crâne en ne gardant qu’un petit épi de cheveux. Le corps du défunt est enveloppé dans un tissu (blanc pour les hommes, rouges pour les femmes) et recouvert d’étoffes orange et de fleurs, avant d’être attaché à une civière de bambou pour traverser la ville. Il n’est ainsi pas rare de croiser un convoi funéraire dans les petites ruelles bu bazar… Le corps est alors plongé dans le Gange, puis la famille (enfin, ses membres masculins, n’oublions pas que nous sommes en Inde…) verse de l’eau du Gange dans sa bouche. On installe ensuite le corps sur le bûcher funéraire, placé d’autant plus loin du Gange que la caste de la personne décédée est élevée. Les intouchables sont ainsi brûlés au pied du Gange alors que les brahmanes (prêtres) ont droit à leur petite estrade. Le fils aîné de la famille fracasse alors le crâne du défunt d’un coup de machette, afin de libérer l’âme de ce dernier. Le feu utilisé pour allumer le bûcher provient du feu magique de Shiva, conservé au centre du lieu crématoire.

Piles de bois(et balance) pour les crémations dans les rues de Varanasi. Photo : http://a21.idata.over-blog.com/600×401/3/26/43/13/kolkata/varanasi/varanasi-0388-1.JPG

Il faut environ 250 à 300kg de bois et 3 heures pour brûler un corps. Au bout de 3 heures il ne reste quasiment plus rien du corps du défunt, hormis des cendres et les os les plus durs : le sternum pour les hommes, le bassin pour les femmes, éléments qui sont déposés dans le Gange avec les cendres. Si la famille n’a pas pu acheter suffisamment de bois pour que la crémation soit complète, ce n’est pas grave, tout va dans le Gange de toute façon…

Quatre catégories de personnes sont dispensées de cette purification par le feu et sont donc confiées directement aux eaux sacrées du Gange à leur mort : les enfants de moins de 10 ans, les sadhus (sages) et les victimes de cobra ou de la variole, à l’époque où il y en avait encore.

Un sadhu

Voilà donc pour la théorie… en pratique c’est vraiment impressionnant de voir tous ces bûchers, dans lequel on devine parfois des formes humaines, flamber au pied du Gange. Nous avons eu la chance le premier soir de pouvoir discuter avec un dom, un de ces intouchables seuls autorisés à manipuler les cadavres. Il nous a expliqué en quoi consistait son travail, en nous guidant tout autour du site.

La description que je fais plus haut des crémations peut peut-être sembler glauque, mais pourtant il n’y a rien de glauque à Varanasi.  C’est ici que bat le cœur de l’Inde, le cœur de l’hindouisme. Il y a une ferveur religieuse indescriptible dans l’air, ferveur qui s’exprime dans tous les rituels entourant ces crémations. Pour les hindous le corps n’est qu’une cage dont la crémation ici permet de se libérer, et cela se sent dans l’atmosphère…

Les ghâts ne servent pas qu’aux crémations, et dès que l’on s’éloigne un peu des sites crématoires on retrouve la vie grouillante et palpitante de l’Inde. Enfants qui se baignent, pèlerins qui font leurs ablutions, femmes qui lavent leur linge et le font sécher au soleil, il y a de la vie dans l’air !

Le Gange au petit matin

Les buffles se font papouiller par un jeune garçon dans le Gange

Les merveilleux lassis (dessert à base de yaourt) du Blue Lassi, un pur régal

Jeune charmeur de serpent

Linge qui sèche au bord du Gange

C’est l’heure de la pause !

Nous prenons le bateau deux fois lors de notre séjour, une fois le matin pour voir la ville qui se réveille, et une autre le soir pour revoir depuis l’eau le Puja, la cérémonie de la lumière. Cette cérémonie a lieu tous les soirs au coucher du soleil et se déroule dans l’ensemble de l’Inde ; elle permet l’offrande de la lumière au Gange. A plusieurs endroits le long du fleuve se regroupent donc de jeunes brahmanes, qui chantent et officient en accomplissant les gestes rituels. Encensoirs, pétales de fleurs, volutes d’encens et tintements de clochettes se combinent pour une célébration extraordinaire. Tout le monde dépose ensuite sur le Gange de petites bougies flottantes, qui s’éparpillent sur le fleuve sacré comme des centaines de petites lucioles. Là aussi il y a de la magie dans l’air…

En attendant le début de la cérémonie de la lumière

Les barques s’amassent le long du Gange pour voir la cérémonie, et c’est ce que nous ferons le deuxième soir

Et c’est parti…

Nous nous sommes retrouvés malgré nous avec un troisième œil sur le front… !

Notre petite bougie

Nous avons également profité de notre séjour à Varanasi pour faire une petite excursion à Sarnath, pas très loin. On y trouve un ensemble de ruines franchement décevant ainsi que l’arbre de la Bodhi, une bouture de l’arbre sacré de Bodhgaya sous lequel Boudha reçut l’illumination.

Bouddha et ses disciples…

… sous l’arbre en question !

Notre séjour à Varanasi nous a vraiment emballés, et nous sommes contents d’avoir pu voir ce visage de l’Inde à la fin de notre séjour. Il n’y a pas grand-chose à faire à Varanasi en terme de monuments, et les amoureux d’archéologie et de musées seront sûrement déçus par cette étape. En revanche, pour qui prend le temps de se poser et d’observer, il y a tant à voir… Les gens, leurs activités, leurs rituels, la vie et la mort entremêlées. Observer pour réfléchir, mieux comprendre, et penser plus large ?

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